Plus je fais de vélo, plus je déteste les automobilistes !
J’en ai ma claque de ces mecs qui ne respectent pas la distance de sécurité quand ils me doublent. Ceux qui me doublent, se rabattent devant moi puis s’arrêtent au feu rouge. J’en ai assez de ces gars qui poussent leur moteur pour démarrer et freiner cent mètres plus loin. En campagne, les conducteurs de voiture un peu sportives qui roulent à plus de 100km/h et coupent les virages me terrorisent quand j’arrive face à eux. Les amateurs de tunning et leur caisson de basse au fond de leur coffre me gonflent. Et tout au long de mon dernier voyage à vélo, je me suis fait klaxonner par des justiciers de la route (en pleine conversation téléphonique au volant) parce que j’étais à contre-sens sur un parking ou que, m’étant serré sur la droite, je n’avais pas laissé la priorité au passage à double sens. La liste est longue….

Je ne vous parle pas des motards qui sur la route des crêtes des Vosges se déplacent par groupes d’une demi-douzaine et qui au lieu de profiter de la beauté du paysage préfèrent se tirer la bourre à plus de 100km/h en ignorant deux pauvres cyclistes voyageant chargés comme des mules.

Quant aux statistiques (celles de 2015, mais on n’est pas loin aujourd’hui) ….
– 82% des responsables des accidents mortels
– 78 % des morts sur la route
– 92% des conducteurs alcoolisés impliquant un accident mortel
Bim ! Des hommes ! On est loin de la parité !
A 14 ans j’ai eu une mobilette. Une Peugeot 103. Elle appartenait à ma tante dix ans auparavant. Je me revois fier comme un pape en train de conduire cet engin à moteur pour la première fois. Je pense qu’à l’époque je ressens comme le passage à l’âge adolescent, la fin de l’enfance. Je n’y associe aucunement la validation de ma masculinité. Je ne crois pas me sentir devenir un homme avec ce guidon dans les mains, mais peut-être « un grand ».
Plus tard, j’ai demandé à faire la conduite accompagnée. C’était l’année de sa création (ben oui, j’ai plus de 50 ans !), j’ai eu le permis à 18 ans et tout de suite une voiture (une golf). Là encore, conduire une voiture ne m’a pas donné le sentiment d’être plus viril. Plus libre, plus autonome, peut-être un peu privilégié, c’est sûr, mais plus viril, je ne le pense pas.
J’ai aussi passé le permis moto, j’en ai eu plusieurs dont une bruyante. Questionner ici ce que cela représente pour moi en termes de masculinité est moins évident que pour la voiture. Ado, j’ai traîné avec des potes motards. Des mecs, avec de grosses cylindrées, qui roulaient très très vite et m’emmenaient parfois dans leurs virées. Enfin, ils voulaient bien m’emmener quand, à l’arrière de leur moto, la place n’étais pas prise par une fille ! J’étais fasciné par ces gars. A l’époque, du haut de mes 15 ans, j’ai conscience que ce ne sont pas des modèles, que leur rapport aux filles n’est pas correct, que je ne veux pas leur ressembler, ni dans ce qu’ils font de leur vie, ni dans leurs relations aux femmes. Mais ils restent fascinants !
Alors, quand une douzaine d’années plus tard, j’achète ma première moto, j’ai le sentiment de concrétiser une aspiration construite dans mon adolescence : je rentre dans la catégorie motard. Je me souviens même avoir demandé à celle qui deviendra ma femme, le jour où elle m’a emmené chercher ma première moto, si j’avais « l’air d’un motard ». Comme si je cherchais une validation de sa part. Comme si j’avais besoin d’entendre « Ca y est, Luc, tu es un adulte, tu es un vrai motard, tu es un mec, ça y est, tu y es ! ».
Et puis finalement, la moto est devenue un moyen de transport du quotidien comme un autre, avec les rhumes en plus en hiver. Un moyen de se déplacer ordinaire pour aller bosser sans subir les embouteillages, même si je dois l’admettre, quand tu débarques au lycée avec ta moto, les gens te regardent différemment que si tu descends de ton Citroën Picasso avec les sièges enfants à l’arrière.
Je n’ai jamais aimé les sports mécaniques, je n’ai jamais conduit en état d’ivresse, je n’ai perdu qu’un seul point de permis à la fois, j’ai toujours eu des voitures d’occasion (familiales ou petites citadines) un peu pourries, je n’ai jamais eu d’accident depuis mes 17 ans pendant mon apprentissage, … mais j’aime conduire, je conduis un peu trop vite (même à vélo), j’ai déjà conduit très très très vite, j’ai perdu des points pour excès de vitesse…. J’ai moi aussi agacé des cyclistes, engueulé des piétons, insulté un papi qui tardait à se garer, j’ai moi aussi été un automobiliste.
Alors pourquoi, puisque j’ai aussi participé à cette écrasante domination de l’automobile et de la moto sur les routes et en ville, est-ce que je ressens tant d’énervement contre ces hommes au volant ?
Je crois que ça se joue en deux endroits chez moi.
Le premier est une prise de conscience écologique. J’ai la chance de pouvoir vivre sans voiture depuis plus d’un an et demi et je ne roule plus à moto depuis dix ans. Je me déplace en train ou à vélo pour mon quotidien et mes voyages. Je suis persuadé depuis longtemps que la crise climatique que nous subissons ne sera pas résolue (bien au contraire!) tant que l’on nous fera croire que la voiture électrique sauvera la planète. C’est en lâchant le volant que j’ai vraiment pris conscience du bruit, de l’odeur, de l’impact sur nos vies de la bagnole.

La seconde source de mon énervement est ce que l’automobile véhicule (c’est le mot !) comme schémas patriarcaux et de domination masculine. Je ne vois plus que ça autour de moi ! Le bruit, l’occupation de l’espace public, le sentiment de supériorité et d’impunité, le besoin de performer, de contrôler, de surveiller (il y a même des gps dans les voitures qui permettent de géolocaliser la voiture de sa femme ! C’est dingue, non ?), bref, je ne supporte plus que conduire soit synonyme de dominer, que l’automobile concentre tant de clichés virilistes.
On m’avait prévenu : quand tu ouvres les yeux, tu ne peux plus les refermer. Et sur ma bicyclette, je suis agacé, vraiment agacé.
