Lors de mes voyages à vélo, j’utilise une application qui me guide tout au long de mon parcours et une autre qui communique à mes amis l’endroit où je me trouve et d’où je prends mes photos. Je consens clairement à être géolocalisé par de grandes firmes multinationales à la déontologie douteuse mais aussi par une trentaine de personnes que ça amuse de savoir précisément où je suis pendant quelques jours.

Cette géolocalisation des personnes et l’utilisation de ces données par des grands groupes peu scrupuleux est inévitable dès lors que l’on achète un téléphone portable fût-il à clapet. Mais quelle place donne-t-on au besoin de savoir où sont nos proches ? A quel moment ai-je besoin de savoir où se trouvent ma voiture, ma fille ou ma femme ?

 

J’ai un ami que ça rassure de voir un point bleu avec le nom de sa fille s’afficher sur une carte à 23h. Ça le rassure « au cas où il lui arriverait quelque chose ». Ce fonctionnement éveille en moi plusieurs questionnements :

– Ça le rassure ou c’est une forme d’exercice de pouvoir et de contrôle sur sa fille ?

– La gamine sachant pertinemment que son père piste son portable, réussira sûrement à trouver un stratagème pour contourner ce contrôle.

– Si au lieu d’une fille il avait eu un fils, agirait-il différemment ?

– Adolescent, comment aurait-il accepté d’être suivi par un de ses parents « au cas où il arriverait quelque chose… » ?

– Quel niveau d’inquiétude cela engendre-t-il dans l’esprit de la gamine ?

– Des personnes qui ont été violées dans leur chambre parfaitement géolocalisée, c’est rassurant ?

Alors oui, bien sûr, il faut vivre avec son temps ! Oui, c’est vrai, c’est inquiétant de savoir que statistiquement ta fille risque de se faire emmerder dans la rue, suivre dans le métro, agresser dans un bar. Oui, je comprends que l’on cherche à tout prix à protéger nos enfants et que la technologie nous permet de les suivre avec nos portables, de les regarder dormir avec nos caméras de surveillance, de penser qu’ils ou elles ne seront pas enlevé.e.s avec nos systèmes d’alarme. Mais ça me déprime….

J’ai deux enfants. Un garçon et une fille qui ont aujourd’hui plus de 20 ans. Comme tous les parents, je me suis inquiété pour elle et lui.

C’est difficile pour moi de ne pas m’inquiéter pour mes enfants. Je m’inquiète toujours un peu, c’est tapi au fond de moi, mais j’essaie juste de ne pas leur montrer et encore moins de leur dire. En veillant aussi de ne pas être plus inquiet pour elle que pour lui d’ailleurs.

Je me souviens avoir toujours veillé à dire à ma fille « passe une bonne soirée » plutôt que « sois prudente ». Idem pour mon fils.

Ce que je regrette aujourd’hui, c’est de ne pas avoir dit à mon fils « prends soin de tes copines ». Parce qu’on apprend aux filles à se méfier des garçons (le petit chaperon rouge nous est bassiné dès l’enfance), mais on ne dit jamais aux garçons de ne pas s’en prendre aux filles.

 

J’aurais dû aussi lui dire de veiller à ce que ses potes se comportent comme il faut. Parce que ce n’est pas facile de recadrer un pote lorsque son attitude est problématique avec une fille.

Quand j’étais ado puis jeune adulte, nous étions tout un groupe d’ami.e.s. Et parmi les garçons, certains se comportaient extrêmement mal avec les filles. J’aurais bien aimé qu’on m’apprenne à ce moment-là à m’interposer, à réussir à dire aux gars que ce qu’ils faisaient était interdit et dégueulasse. J’aurais aimé savoir que ce qu’il se passait n’était pas la norme. Une norme dont je me sentais (fort heureusement) exclu. Aujourd’hui, je sortirais ces gars de ma vie. Je refuserais de conserver un semblant d’amitié. Je ne l’ai pas fait à l’époque. J’aurais dû…..

Je crois que j’aurais aimé que mes parents me disent «prends soin de tes amies » et mieux encore qu’ils m’apprennent à recadrer mes potes problématiques. Et pourtant, je ne l’ai pas dit à mon fils non plus….

Les pères doivent cesser d’user de leur pouvoir de domination sur leurs enfants, et particulièrement leurs filles (ou leur femme, ça marche aussi !) en les géolocalisant pour savoir où elles sont. Et si nous parlions plutôt à nos garçons de consentement et d’empathie, mais aussi de responsabilité dans ce qu’il se passe dans les boys-clubs?

Et dans le même temps, si nous faisons confiance à nos filles, si nous ne les gardons pas sous cloche de façon autoritaire, si nous sommes capables de parler sexualité avec elles sans y mêler des craintes et les interdits qui en découlent, si enfin nous établissons le dialogue avec nos enfants sur les relations affectives et sexuelles alors peut-être que nous n’aurons plus peur pour nos filles.

 

Gardons donc nos traqueurs GPS pour partager à distance un voyage avec ceux qu’on aime ou pour dessiner des cœurs (ou des vulves) pour faire des déclarations d’amour en allant courir. Ça au moins c’est une utilisation du GPS qui permet de partager ce que l’on vit.