Ça se passe à l’université, je suis assis là, dans le public, je reste silencieux, je ressens comme un malaise. Forcément, une formation sur les violences sexistes et sexuelles à l’Université, ça me plombe. Et puis je finis par comprendre ce qui me met dans cet état. Dans l’assistance, un peu à l’écart des autres, il y a ce médecin, homme, blanc, certainement cis et hétéro, et à l’hygiène douteuse dès 9h du matin, qui passe son temps à prendre la parole, à contredire les intervenantes. Il se permet même des «  Non mais vous dites ça parce que vous êtes jeunes » ou des « moi je sais bien que ça ne se passe pas comme ça. ». Mais pourquoi s’est-il inscrit à cette formation ? Pour se la ramener en public ? Pour régler des comptes avec les associations d’aide aux victimes ? Non, je crois qu’il se sent juste meilleur que nous, et même meilleur que cette femme qui nous forme…. 

Et moi, je suis témoin de ça. J’ai une boule au ventre face à la violence de ces interventions. J’ai des élans d’empathie pour les deux spécialistes et pourtant je ne dis rien. J’ai très envie de lui dire « Ta g…. ! », et je reste là à fulminer silencieusement. Son comportement me blesse, parce qu’en tant qu’homme, je ne veux pas être associé à ce mainsplaining. Pourtant je ne dis rien, et ne fais que compatir avec ce que vit la psychologue. Et en remontant sur ma bicyclette, je m’en veux de n’avoir pas su intervenir. Pourquoi n’ai-je rien dit ? Parce que je ne me sens pas légitime pour intervenir ? Parce qu’on ne contredit pas un homme ? Parce que lui demander de se taire ne le fera pas changer ? 

Chaque fois que j’assiste en réunion à ces scènes où les hommes monopolisent la parole, où ils expliquent avec condescendance quelque chose à une femme qui connaît déjà parfaitement le sujet, où l’universitaire méprise l’agrégée et daigne à peine s’adresser à la professeure des écoles, chaque fois je ressens le même malaise, chaque fois je ne trouve pas les mots qui permettraient de remettre ces personnes à leur place. Parce que c’est un homme, qu’il assène des vérités, j’ai l’impression que c’est plus difficile de le couper qu’une femme. Une femme, dans son discours, va mettre moins d’assurance. Vous savez, des formules comme « à mon avis », « il me semble que…. », «  peut-être que si … ».

Les mecs ne s’embarrassent pas de ce genre de tournures. Et j’ai l’impression que ça n’a rien à voir avec la maîtrise de leur sujet. 

Alors je suis agacé de ne pas savoir comment intervenir. Au mieux je quitte la salle avant la fin du monologue androcentré.  

Conscient du malaise que ces interventions créent en moi, je m’interroge souvent sur mon propre fonctionnement. Le public à qui j’enseigne est composé à près de 80 % de femmes (Et oui ! Le métier d’instit n’attire pas ces messieurs, c’est problématique et j’aimerais vous en parler un jour). Dans ce contexte, j’ai le statut d’expert, j’ai l’expérience du métier, c’est moi qui évalue les connaissances et valide le diplôme. Je tutoie mes étudiant.e .s, les appelle par leur prénom, et ils ou elles m’appellent « Monsieur » et me vouvoient (malgré mon autorisation à ne pas le faire) . Je suis donc dans une position ultra-dominante. Pareil lors des réunions avec les conseiller.e.s pédagogiques où je suis souvent le seul agrégé de mathématiques face à des enseignant.e.s polyvalent.e.s.  

Dans ces contextes professionnels (mais aussi dans le cercle amical ou familial), j’ai très peur de ressembler à ces hommes. Je dois rester très vigilant à ne pas prendre mon auditoire de haut, trouver le bon braquet, ne pas être blessant ou méprisant, avoir toujours en tête qu’en maths je suis en effet plus performant que la moyenne, mais pour le reste…. 

Alors depuis récemment, je veille à laisser des silences avant de les combler, je me force à ne pas répondre instantanément à ce que l’on me dit (surtout si c’est une femme qui me le dit), je m’excuse auprès de mes collègues féminines lorsque j’ai l’impression d’avoir monopoliser trop de temps de parole…. 

Je dis « depuis récemment » parce que si je me place plusieurs années en arrière, je ne me posais pas cette question. Je ne me la posais pas parce que je n’avais pas conscience que la problématique des prises de paroles en réunion était liée aux stéréotypes de genre et aux inégalités entre hommes et femmes. Je ne me rendais pas compte que les hommes craignaient de perdre des privilèges en laissant la parole aux femmes et en écoutant ce qu’elles avaient à dire. Je n’imaginais pas que le manterrumpting était utilisé sciemment pour décrédibiliser la parole féminine par les masculinistes trop inquiets de perdre leur pouvoir de domination.  

J’ai l’impression d’ouvrir les yeux en m’inquiétant de savoir si moi aussi j’ai profité de mon statut d’homme pour monopoliser la parole en public ou blessé mes interlocutrices et si j’ai ainsi contribué moi aussi aux inégalités entre les hommes et les femmes. Et la réponse est oui…