Chaque année, avec mon pote N. nous passons une semaine à voyager tous les deux à vélo. Nous avons 25 ans d’écart, notre amitié, notre connivence dure depuis une dizaine d’années, et notre semaine à sillonner tous les deux les pistes cyclables de France ou d’Europe nous est indispensable.
Ce qui nous amuse beaucoup, c’est que systématiquement, lorsque nous arrivons dans un camping ou chez des hôtes, on nous demande si nous sommes père et fils. Et lorsque nous répondons que non, il s’installe alors un silence gêné…. que nous finissons par briser en ajoutant “mais on ne couche pas ensemble non plus!”. Ça nous amuse pour le comique de répétition. En vrai, ça nous est égal…. Ca nous est égal d’abord parce qu’en tant qu’hétéros, nous n’avons pas peur d’être discriminés, voire violentés à cause de notre orientation sexuelle. Mais ça interroge tout de même sur la difficulté de ne pas sexualiser (devrais-je dire homosexualiser?) une amitié entre hommes, surtout s’ils partagent la même tente pendant une semaine. Et s’ils ont 25 ans d’écart, n’en parlons pas!
Comme s’il n’était pas possible d’afficher son affection entre hommes, comme si un homme de 50 ans n’avait rien à partager avec un jeune homme de 25 ans. Avec N. nous pouvons aborder tous les sujets, même intimes. Nous ne sommes pas toujours d’accord, mais nous nous écoutons et apprenons l’un de l’autre. Et nous le faisons avec une amitié forte et sincère dénuée de toute attirance sexuelle. Et c’est très beau.
Cette année au pied du Jura, nous avons découvert un café charmant pour notre pause du petit-déjeuner. Nous sommes chaleureusement accueillis par B. qui nous installe et nous présente ce lieu qui fait épicerie et bar et qu’il dirige avec son mari. Nous ne tardons pas à parler stéréotypes, discrimination, inégalités, intersectionnalité et féminisme. Après une bonne heure de discussions passionnantes, alors qu’il est temps de reprendre la route, B me présente ses excuses pour avoir pensé que j’étais gay. Ce qui m’étonne le plus, c’est qu’il s’excuse, comme s’il m’avait insulté. Il m’explique que ce qui l’ennuie c’est d’avoir été, comme beaucoup d’autres, victime d’un stéréotype.
Moi aussi je suis victime de stéréotypes. Je n’arrive pas, par exemple, à m’empêcher de me demander si telle personne est homosexuelle, ou si telle autre est trans. Et quand je le remarque, ça m’énerve de le remarquer! J’aimerais tellement parvenir à ce que ça me soit égal! D’autant plus que c’est vrai, ça m’est égal!
Mais je suis tellement baigné de normalisation! C’est de l’homophobie latente et j’ai participé à cette homophobie collective et sociétale:
– Quand, ado, je me suis moqué de gars efféminés ou de filles “garçons-manqués”.
– Quand j’ai utilisé des expressions comme “tapette” ou “p’tit PD” comme nom affectueux pour m’adresser à mes potes
– Quand j’utilisais des expressions comme “c’est pas du …. de PD” pour dire qu’un truc était fantastique
– Quand je riais en entendant des blagues sexistes et que je les racontais à mon tour
– …

C’est étourdissant de me rendre compte aujourd’hui de l’horreur de ces mots. On aurait du mal à croire que je ne suis pas sexiste et homophobe! Ça me désole!
Et cette propension est d’autant plus forte à dire des conneries lors des phénomènes de groupes, les repas, les soirées. Comme si, pour assouvir un besoin de briller en société il fallait avoir de l’humour, quitte à mépriser une partie de l’humanité. Et en analysant ce qui est dit dans ces moments-là, ce n’est plus drôle du tout…
Sans vouloir me chercher d’excuses, j’utilisais simplement des expressions communes à l’époque. Sans comprendre ce que cela signifiait et surtout ce que cela engendrait comme violence. Et aujourd’hui encore, je sens que cette construction est présente en moi. Mais je ne peux plus faire comme si, en les disant, je ne savais pas ce que ces paroles transportent de violence et que celle-ci ne peut être atténuée par un “C’est bon, je rigole! Tu sais bien que je ne suis pas sexiste /homophobe /raciste !”.
J’ai été gavé de ces préjugés induits par les stéréotypes de genre qui m’ont construit, je ne suis pas toujours suffisamment vigilant de l’impact de mes mots, de mes gestes, de mes prises de décision. Cela m’oblige à prendre conscience de ce qui s’est inscrit en moi, parfois malgré moi, et à rester aux aguets, à être attentif à ce que je dis, mais aussi à ce que j’entends. Parce que lorsque j’ouvre les yeux (et les oreilles), il ne m’est plus possible de faire et de laisser faire de l’humour qui participe à un système qui engendre des inégalités et provoque des violences.