
Je m’appelle Luc, j’ai 51 ans, je suis un homme, blanc, cisgenre, hétérosexuel, valide, en bonne santé, éduqué, bourgeois (prof, mais finalement bourgeois). Et à ce titre, je coche toutes les cases des privilèges et donc des dominations. Je n’y peux rien, je suis né ainsi, et à moins que la chauvophobie ne se développe un jour, je ne subirai probablement aucune discrimination au cours de ma vie.
J’ai découvert par un heureux hasard le chinois, je me suis pris de passion pour Taïwan et depuis peu, je passe mes vacances à sillonner l’Europe à vélo. J’adore ces voyages, C’est parce que je suis un privilégié, que je peux me déplacer sans avoir peur. Sans avoir peur d’être suivi, d’être sifflé, d’être accosté, d’être agressé,… sans même penser que ça pourrait m’arriver. Alors, forcément, je profite de cette chance : Je voyage, et surtout, je voyage sans crainte !
Au cours de mes pérégrinations, j’ai pris l’habitude d’écrire chaque jour à mes proches. Je leur raconte la rencontre improbable d’un cycliste brésilien germanophone en Slovénie, les trombes d’eau et le vent de face au bord du Danube, l’émerveillement d’un coucher de soleil en Haute-Loire, mes réflexions après l’écoute d’un podcast en roulant….
Et tout au long de mon trajet, j’observe méticuleusement, je note mentalement ce qui m’entoure, ce que j’observe, ce que j’entends afin de pouvoir le partager à la fin de la journée.
Je voyage sans crainte à vélo, mais aussi sans crainte dans ma vie de tous les jours. Je traverse mon quotidien sans subir la moindre inquiétude. Mais depuis un moment, il y a comme un petit bruit dans les roulements qui m’agace. Je prends conscience de mes privilèges…. Et comme sur ma bicyclette, je regarde autour de moi, et des détails me sautent aux yeux. Je les vois chez les autres, et ça résonne en moi.
Je vois, par exemple, ces hommes assis à table servis par leur femme, ceux qui monopolisent la parole dans les réunions, ceux qui utilisent « va te faire enculer » en toute occasion, ceux qui pensent que la transidentité est une question de mode…. Je les vois, je les entends, et je me demande alors ce qu’il en est de moi. Je me demande à quel moment je participe à tout ça : ma mère est aux petits soins dès que l’on se retrouve, je parle trop quand je co-anime une formation avec ma collègue, je fais des doigts d’honneur à mes ami.e.s quand on se taquine, je suis démuni lorsque j’ai des élèves qui souhaitent être genrés différemment …. Oui, moi aussi je suis construit dans cette société hétéronormée et patriarcale. Moi aussi je participe aux inégalités.
J’ai donc décidé de vous écrire pour partager avec vous ce que j’observe, depuis ma fenêtre de privilégié, des mécanismes de notre société patriarcale. De vous partager ce qu’ils produisent d’inégalités et de discriminations et de ce que cela évoque pour moi. Je voudrais déposer ici ce qui dans mon quotidien me rappelle que les inégalités, les discriminations, les violences sont bel et bien présentes, que de par ma construction j’y participe. Les déposer, non pas pour m’en débarrasser, mais pour ne plus les taire.
J’aimerais partager avec vous toustes, mais peut-être plus spécifiquement à toi, homme, blanc, cis, hétéro,…. et même si tu n’es pas prof, et même si tu as encore tous tes cheveux (surtout si tu as tous tes cheveux). Parce que pour nous (je dis bien « nous ») qui entrons dans cette catégorie, il y a du boulot ! Du boulot parce que, ne subissant aucune discrimination, nous ne les voyons qu’à peine. Et j’aimerais, avec toi donc cher homme (parce que les femmes, il y a bien longtemps qu’elles subissent ces discriminations, pas besoin de leur expliquer !), ouvrir les yeux. Ouvrir les yeux, au risque de ne plus pouvoir les refermer….

C’est absolument magnifique Luc. Je me sentais submerger par l’envie de te lire encore et encore……
Continue d’écrire surtout, on a besoin de lire ces paroles, ces pensées, tellement vraies, tellement belles et cruelles à la fois.
Tous ces mots, tes mots, remettent en place une réalité, que l’on n’ignore pas, non loin de là, mais que l’on met de côté effectivement quant on n’est pas concerné et que l’on ne l’a jamais été.
Merci, merci infiniment pour ce rappel, si évident, que l’on croise si souvent et que l’on préfère ignorer.
Merci de réveiller nos dénis bien enfouis…..
Je suis une femme, blanche, bourgeoise qui ne craint pas le voyage. Et O combien, ma lecture m’a rappelé à quel point j’étais chanceuse.
A vous mes ami(e)s de couleur, qui m’apportez tant de richesse. A vous mesdames, sur tous les fronts. Défendez votre liberté !
Que nos cœurs à tous s’ouvrent et nous fassent vivre dans l’amour, ensemble. C’est possible.